Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/173

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était accablante, l’onde était limpide ; j’étais couché sur le gazon du rivage, entre le sommeil et la veille, et dans l’état de béatitude d’un homme qui a pris de l’opium ; que vous dirai-je ? À force de contempler cette vaste nappe d’eau qui de loin me paraissait si paisible et si calme, je crus découvrir dans le fond de la rivière, assise sur un quartier de roche, je ne sais quelle idéale et jeune beauté qui me tendait les bras avec un doux regard. Le charme était inexprimable. La vision se balançait mollement dans le miroir des eaux ; un vieux tilleul du rivage protégeait cette jeune tête des blanches fleurs qui le décoraient, et de ses feuilles vertes il lui faisait un vêtement diaphane. J’étais sur le bord du fleuve, immobile, enchanté, saisi par un amour indicible, réalisant tous les rêves d’une première jeunesse ; il me sembla que j’étais le héros du Tasse, le beau Renaud arrêté dans les jardins d’Armide, au bord de ces bassins de marbre où les nymphes délirantes chantaient l’amour en se balançant dans l’onde argentée ; ces belles femmes, du fond de ce cristal limpide, me tendaient leurs bras et leurs sourires ; — je succombai !

Déjà j’étais dans le fleuve, et ni la fraîcheur de l’eau, ni la force irrésistible qui soudain me saisit et m’entraîna,