Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/18

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pas à s’occuper d’amour, l’imagination prend la forme de ruines amoncelées à la chapelle moderne, les blancs fantômes à la chambre dorée où tout est marbre et acajou. De là résulte souvent une espèce de donquichottisme littéraire, plus ridicule mille fois que tout ce que nous savions en fait d’anachronismes.

À tout prendre, ce paladin de la Manche qui s’en va dans la campagne, cherchant des torts à redresser, des géants à pourfendre, et tout prêt à se faire tuer pour la veuve, pour l’orphelin, pour la dame de ses pensées, est une figure respectable dont on est fâché de s’être moqué, lorsqu’on vient à réfléchir quel noble cœur recouvrait cette armure de carton, quel brave homme portait ce cheval efflanqué, quel bon maître servait cet écuyer grotesque ; on est irrité contre soi-même du plaisir qu’on a pris à cette admirable histoire, parce qu’il y a là, en effet, beaucoup plus de l’homme moral que d’autre chose, et qu’un seul discours du héros compense à merveille les moulins à vent et l’armet de Membrin.

Mais, au lieu de ce chevalier nomade, la fleur de la chevalerie, donnez-moi quelque don Quichotte domestique, un don Quichotte en bonnet de coton, chevalier errant comme don Quichotte, moins le courage, le dévouement, l’esprit, la grâce, l’honneur, la gaieté, l’abnégation de soi-même, la piété, le pur amour de don Quichotte ; faites que ce don Quichotte bourgeois, laissant de côté les actions de bravoure, ne songe qu’à imiter ce côté ridicule et bouffon que tout valet de chambre sait trouver à