Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/182

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marchande de pommes s’est construit une cabane en bois ; à la porte de cette cabane, une grande chèvre se promène, maigre et efflanquée. Vous entrez, et dans les gardiens, pas un regard de bienveillance ou de pitié ; dans le médecin, pas de compassion ; dans les malades, pas de confiance ; ce sont les mœurs, c’est l’effroi, c’est l’égoïsme d’une ville ravagée de la peste ; c’est ce qu’il y a de pire au monde, la honte chez le malade et de cuisantes douleurs qu’il n’ose pas avouer. Dans ces murs, l’effroi, la faim, des passions dévorantes, une inquiétude toujours croissante, un mal qui prend toutes les formes, tous les noms, qui usurpe toutes les places, du dégoût et de l’horreur, voilà la vie, si c’est vivre ! L’air en est infecté, le ruisseau en est fangeux. J’ai vu dans cette enceinte de jeunes hommes, pâles, livides, verts, hébétés, privés de leur raison naissante, insipides victimes d’une insipide passion ; à côté d’eux, des pères de famille, portant le deuil de leurs femmes et de leurs enfants ; plus loin, des vieillards horribles, que l’art médical conservait précieusement comme autant de phénomènes curieux que l’on montrait aux étrangers, en disant : Nos pestiférés sont plus affreux que les vôtres ! — digne sujet d’orgueil ! Tout ce peuple de misérables tordus, courbés, écrasés sous le mal,