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Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/231

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dans la rue, qu’elle n’aurait pas beaucoup à attendre son premier chaland. Le temps encore n’était pas loin où les plus vieux et les plus jeunes se précipitaient sur ses pas, rien que pour toucher sa robe, rien que pour obtenir un de ses regards ! Quelle fête quand elle paraissait dans la grande allée des Tuileries ! l’air était plus doux, le vieil arbre se balançait amoureusement et la saluait de sa tête chenue, l’oranger semait ses blanches fleurs sur ses pas ; pour la voir, les promeneurs n’avaient qu’un regard ; pour l’aimer, ils n’avaient qu’une âme ! Elle entendait murmurer à ses oreilles toutes sortes d’adorations et de louanges, et pourtant à peine daignait-elle se montrer en passant à tout ce peuple : — Que sera-ce donc, se disait-elle, à présent que je suis là pour obéir au premier désir, pour subir le premier baiser, pour recevoir dans mes bras le premier venu, auquel j’appartiens ? Que vont-ils faire, à présent qu’ils sont tous mes maîtres, tous mes amants, à présent qu’ils n’ont plus qu’à se baisser dans ma boue pour me prendre ? Ainsi comptait-elle avec elle-même, ou plutôt avec sa beauté gaspillée et anéantie, la pauvre fille ! Mais à peine entrée dans son domaine de fange, quel changement, ô ciel ! Elle si admirée, si aimée, si adorée, quand elle était encore la maîtresse de choisir, à présent les plus hon-