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Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/306

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illusions de ma première jeunesse ! Pour dernière promenade, j’allais attendre au cimetière de Clamart la livraison de mon marché du matin.

Il était deux heures ; le soleil marchait lentement, et je suivais l’ombre allongée et poudreuse des peupliers de la grande route, lorsqu’au milieu d’une verte prairie j’aperçus une grande quantité de linge blanc étendu en plein air, sur des cordes attachées à des arbres ; quelques femmes, agenouillées sur les bords du ruisseau voisin, faisaient retentir l’écho sous les coups multipliés de leurs battoirs ; je me rappelai, et seulement alors, que je n’avais pas de linceul ; je résolus d’en avoir un à tout prix. Je descendis dans la prairie ; elle appartenait justement à ma petite Jenny ; Jenny elle-même était assise sur une botte de foin destinée à son cheval, surveillant à la fois le linge étendu et le linge qui était au lavoir ; du reste, toujours folle et bonne, et, de plus, enceinte de huit mois.

— Vous êtes bien triste ! me dit-elle après le premier bonjour. — Tu trouves, Jenny ? c’est que (j’ai besoin de toi) il me faut à l’instant même un grand linge pour ensevelir une pauvre fille qui se meurt.

— Elle se meurt ! reprit Jenny ; mais il y a peut-être encore de l’espoir ; j’ai vu revenir de très-loin bien des