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Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/323

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les grosses larmes qui roulaient dans mes yeux : — Peines de cœur, reprit-il en haussant légèrement les épaules ; que les hommes sont insensés ! J’ai été dix ans de la musique de Saint-Pierre à Rome ; j’ai été maître de chapelle à Florence ; j’ai été premier chanteur sur le théâtre de la Scala, à Milan ; j’ai partagé les plus brillantes passions qui aient enflammé les belles Italiennes ; j’ai parcouru Venise sous le domino rose et sous le masque noir du carnaval ; j’ai vu des femmes mourir pour leurs amours, et je n’ai pas senti une fois cette folle passion qu’on appelle l’amour.

Disant ces mots, notre homme se retranchait derrière la haie fleurie de son égoïsme.

Les femmes le regardaient avec horreur ; et pardieu ! vous n’aurez pas de peine à le croire : cet homme si heureux, si fleuri, c’était un soprano napolitain !

Ainsi donc, dans tout le cours de ce récit, nulle horreur ne devait m’être épargnée, pas même la consolation d’un soprano !

Quand tout fut en ordre dans le cercueil, la tête à sa place, au haut du corps, et comme si rien n’eût été tranché, Sylvio referma la bière ; et ceci fait, tous les deux nous faisions sentinelle sur le bord de la fosse, les bras croisés, car le fossoyeur n’arrivait pas. Cependant la nuit descendait