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Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/77

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bien assurée d’être enfin délivrée de ce grand amour et de cet immense dévouement, elle parut respirer plus à l’aise ! — Il ne sera plus là pour l’aimer, Dieu merci ! Comme elle allait pour sortir de la Morgue, deux hommes encore jeunes se présentèrent sur le seuil de cette porte ; celui-ci avait l’air empesé d’un valet de bonne maison : ce n’était rien moins qu’un savant précoce ; on eût pris celui-là pour un grand seigneur : c’était le domestique du noyé.

Au premier coup d’œil il reconnut son maître : ils avaient eu, sinon la même mère, tout au moins la même nourrice, la même enfance, la même jeunesse ; ils s’attendaient à mourir toi aujourd’hui et moi demain ; ils étaient presque deux frères ; si bien que lui, le valet, il n’aurait pas voulu être le maître, tant il aimait son frère ! Il alla se placer aux pieds du mort, se plongeant lentement dans sa douleur muette, pendant que la foule hébétée, cette ignoble foule qui fut pendant un temps la nation française, avait l’air de ne rien comprendre à ce silencieux désespoir.

Ce jour-là c’était la fête patronymique du gardien de la Morgue ; sa famille et ses amis s’étaient réunis autour de sa table ; on lui chantait des couplets faits exprès pour lui ; il était tout entier à la commune ivresse ;