Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/86

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fortes que la douleur physique ? Enfin, jusqu’au jour où l’opération de la pierre obtiendrait l’honneur du drame ou du poëme épique, je résolus d’être un peu plus un homme comme tout le monde.

Mais, hélas ! malgré tous mes efforts, je revenais bientôt à mon étude favorite : le vrai dans l’horrible, l’horrible dans le vrai. Justement nous étions dans une société trop égoïste pour que les malheurs d’autrui nous pussent toucher ; la pitié pour les maux imaginaires nous paraissait un abus révoltant ; se contenter aujourd’hui des passions de l’ancien univers poétique, c’était se rayer du nombre des vivants dans un monde qui, las de demander ses émotions aux héros de l’histoire, n’a rien trouvé de mieux, pour se distraire, que des forçats et des bourreaux. J’en revenais toujours à mon premier calcul.

— Il est vrai que, grâce à ces âcres douleurs, je ne pleurerai pas, me disais-je en gémissant. Insensé, orgueilleux que j’étais ! ne pas pleurer ! le beau triomphe ! jouer au stoïcisme et retenir dans le fond de mon cœur les gouttes d’eau qui le brisent ! Renoncer, si jeune, à la douce volupté des larmes, et encore me vanter de ce progrès-là comme d’une action de vertu ! Voilà pourtant à quel charlatanisme misérable le nouvel art poétique m’avait