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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/115

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par les prédications des deux évêques, des deux frères chrétiens saint Germain l’Auxerrois et saint Loup, apôtres des Gaules, qui venaient pour enseigner l’Évangile aux chrétiens et aux païens insulaires : Véritablement, on est tout honteux quand on voit quelle importance certains beaux esprits ont donnée à ce Pélage. Ils en ont fait comme le précurseur de Luther, ils ont voulu prouver qu’il était l’alpha et l’oméga, le tohu et le bohu de toute philosophie. À les entendre, cet homme est l’héritier direct des anciens bardes de l’Armorique, dont il aurait sauvé la philosophie dans ce naufrage universel de toutes les opinions qui n’étaient pas l’opinion de l’Église catholique. Et comme, une fois dans l’exagération, les plus sensés et les moins hardis ne consentiraient pas à s’arrêter, même devant l’absurde, les faiseurs de grands caractères pour les romans historiques n’ont-ils pas tenté de nous prouver, à force de périodes sonores et vides, et avec le plus grand sang-froid du monde, que dans ce moine Pélage se personnifiait tout Le génie breton ? À les en croire, toute la Bretagne se résumerait dans l’hérésie de Pélage. Au douzième siècle, ils retrouvent Pélage dans Abeilard ; sous Louis XIV, ils le retrouvent dans Descartes ; de nos jours ce sera M. de Lamennais, à moins encore que l’on n’en fasse M. de Chateaubriand lui-même. Insigne entêtement, de tout vouloir soumettre au joug du même paradoxe ! Bien plus, de l’hérésie de Pélage, cette fausse doctrine mal exposée, mal défendue par un homme sans talent et sans génie, et foudroyée de toutes parts par les voix les plus éloquentes et les plus écoutées, on a fait comme la base des Églises de l’Armorique ; on a relevé, tout exprès pour en charger la Bretagne, ce mur de division entre saint Augustin et Pélage. En vain les plus grands docteurs, saint Augustin, et avec saint Augustin, Bossuet, ont-ils prouvé à ces romanciers de l’histoire toute la perturbation apportée par Pélage, l’Église livrée à la discorde, les pasteurs sans autorité sur le troupeau, le troupeau sans pasteur, la vérité sans appui, les esprits flottants et chancelants dans la foi, la ruse et l’imposture de ces pélagiens réclamant un tribunal qui n’est pas, non pas pour être jugés, mais pour se soustraire au tribunal qui est ; en vain a-t-on appliqué à cette hérésie misérable cette parole sévère : que ne pouvant pervertir le monde catholique, ils tentent de le soulever (orbem catholicum quoniam per vertere nequeunt, commovere conantur), rien n’a pu empêcher les déclamateurs de jeter sur l’Église de Bretagne, qui s’en indigne, ce froid manteau d’hérésie pélagienne ! Heureusement de bons et sages es-