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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/29

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Romains, jaloux de tout ce qui n’était pas Rome, appelaient Karnac le camp de César. Mais le savant et vaillant homme à qui était réservée une si belle mort, l’antiquaire le plus illustre du Morbihan, le premier grenadier de France, Latour-d’Auvergne, dans ses Origines gauloises, se demande avec juste raison si les Romains ont jamais retranché leurs camps par un pareil entassement de rochers. Un autre antiquaire[1], pour échapper aux Celtes sans tomber dans les Romains, affirme que les roches de Karnac sont l’œuvre des Égyptiens, et la preuve, c’est que parmi les ruines de Thèbes s’élève une ruine appelée Karnac ! J’aime tout autant les traditions des habitants de la Cornouaille, qui appellent les pierres de Karnac les soldats de saint Corneille (saint Corneli, soudard). C’est tout un poëme de pierres ce Karnac, lugubre poésie, silencieuse, solennelle, imposante. Suivez toujours la trace druidique, elle vous conduira à Kennebon, à Cloukinec, landes désertes, sombres forêts, aspect sauvage. La plaine d’Ardven est inculte comme aux premiers jours ; les pierres d’Ardven sont disposées dans un ordre régulier et sur neuf files parallèles. Le dolmen de Kerkouno est le plus vaste du Morbihan ; les villages voisins en ont fait un lieu de réunion et de plaisir ; c’est le cabaret du village les jours de Pardons, depuis que le Pardon a cessé d’être une fête toute religieuse. Une de ces pierres s’appelle la pierre du diable, et même on raconte la chronique de la pierre du diable. C’est un véritable peulven celtique, destiné à rappeler une histoire oubliée à jamais ; la légende seule est restée. Comme les manœuvres chrétiens élevaient la cathédrale de Saint-Pol, le diable, pour écraser l’église naissante, prit cette pierre et la jeta sur le clocher, qui déjà s’élevait dans les airs ; mais la pierre, lancée avec trop de violence, est retombée à cette place. Et en preuve, le diable a laissé dans le roc la double empreinte de sa griffe de fer.

À une demi-lieue d’Auray, se rencontre le Manê Korriganet (la montagne des petits hommes), apportée là par les Korrics ; cette montagne, presque aussi abrupte qu’un monument celtique, est une des premières forteresses de la Bretagne féodale. Mais, dans ce premier chapitre, nous n’irons pas plus loin que les Celtes ; nous retrouverons plus tard les antiquités françaises, les vieux manoirs, les châteaux forts, les tours féodales, les inscriptions, l’inscription de la tour d’Elven, par exemple : « Ci-gît Erec, fils d’Alain de Broerec,

  1. M. de la Sauvagère.