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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/38

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doute le motif de l’oubli qui pèse sur les chants des bardes ; l’orgie a dévoré cette poésie de parasites. Au dixième siècle, sous le roi Houël le Bon, nous vous dirons la résurrection des bardes ; mais si le barde est ressuscité, la poésie est morte, morte à ces joies si vraies, à ces douleurs si vives. — L’Irlande, plus heureuse en ceci que l’Armorique, a conservé le nom de ses bardes : Ossian et Fingal, et même un assez bon nombre de ses poésies nationales, ont-elles surnagé, pour qu’un habile esprit (Mac’pherson) refît quelques-uns de ces étranges poëmes, élégies guerrières mêlées d’amour, : où se retrouve toute la pâle mélancolie du Nord. — Des bardes gaulois, nul ne dit le nom, pas même Ausone, le poëte chrétien, qui se souvient avec tant de joie des dieux du paganisme quand il écrit ses vers. Comme il ne pouvait pas, et comme d’ailleurs il n’eût pas voulu peut-être se prêter à une supercherie à la Mac’pherson, le savant M. Delarue a tenté du moins de retrouver, dans les jongleurs et les trouvères, les enfants des bardes de l’Armorique ; il a voulu élever le lai breton à la dignité de poëme des Celtes[1]. À cette découverte, on ne voit pas ce que la Bretagne peut gagner. Vous avez vu une noce de Bretagne : quand la noce, toute parée, sort de l’église, deux hommes précèdent, celui-ci le jeune époux, celui-là la mariée, et chacun de ces hommes s’en va célébrant, le premier la beauté de la femme, le second les vertus du mari ; autant vaudrait dire que ce sont là des bardes. Il est plus facile de convenir tout de suite que cette poésie s’est perdue, et que l’écho des vieux âges s’est lassé de la répéter.

Les lois des druides, plus que les chants bardes, ont échappé à ces ravages. Dans un livre écrit en toute naïveté de style et d’opinions philosophiques[2], nous retrouvons les ordonnances des druides : S. P. Q. G. — En peu de mots, nous pouvons résumer ces divers commandements : — « Sur toutes choses, honorons celui qui nous a mis sur terre. — Défendons aux Gaulois de faire aucun sacrifice sans les prêtres. — Que le druide vive pur et chaste. — Sera chassé des sacrifices, qui aura manqué à la loi, et nul ne sera si hardi que de s’y montrer sans pardon. — Assistez à la parole du druide ; qui troublera la parole du prêtre, perdra partie de son manteau. — Ne parlez ni de religion ni des affaires publiques. — Qui sait une nouvelle intéressante pour la république, la rapportera à l’instant même

  1. Lai, led, en latin de la grande décadence, leudus.
  2. Histoire de l’Estat et Républiques des anciens François, depuis le déluge universel jusques à la venue de Jésus-Christ en ce monde.  (Noël Taillepied, cordelier.) — 1585.