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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/37

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mais elle y doit régner, et le regard charmé s’arrête avec orgueil sur le théâtre où se passera le grand drame de la nation française. Tous les vieux peuples seront les bienvenus sur cette terre qui sera nôtre ; ils nous précèdent, donc ils sont quelque peu nos ancêtres. Voilà pourquoi ce noble débris des populations celtiques nous tient attentifs et nous trouve empressés, car ce débris sera bientôt la race bretonne. À l’heure où nous sommes, la Gaule est occupée par deux peuples, les Barbares et les Celtes. La nation celte obéit aux druides et aux nobles, et pourtant chaque année il fallait procéder à un nouveau partage des terres de la nation ; car c’était la loi, dit César, que pas un homme dans ce peuple ne fût plus riche que son voisin. De la langue des Celtes bien des mots sont restés dans notre langue[1]. La Bretagne, de toutes les nations gauloises, a parlé le plus longtemps la langue celtique. Elle était placée au bout du monde (finis terræ, Finistère) ; elle était éloignée du théâtre de ces guerres de Romains à Barbares ; elle obéit longtemps à un chef indépendant ; à plusieurs reprises, quand la Bretagne va être envahie par Rome, vous verrez les insulaires de la Grande-Bretagne apporter de leur île le vieux langage et le remettre en honneur. Nous avons dit où en était l’art des Celtes ; ils se sont contentés d’entasser des pierres presque au hasard, les mêmes pierres que vous retrouvez en Danemark, en Suède, en Norwége, en Irlande ; jouets d’enfants qui ne savent pas se bâtir un temple. Leur architecture, c’est comme leur poésie, dont rien ne reste, sinon des fragments, pierres détachées d’un édifice qui n’a jamais été construit. Où sont les chants des bardes ? Ils se sont évanouis avec les colères qu’ils soulevaient. Et les hymnes sacrés, et les chants de guerre, et les satires contre les lâches ?… tout cet esprit s’est perdu, emporté par l’oubli.

Lucain, le grand poëte, s’est souvenu des bardes dans la Pharsale, et il parle de leurs chants nombreux (carmina plurima) ; de ces chants nombreux pas un seul ne s’est conservé dans là mémoire des hommes. La poésie s’est perdue en même temps que s’effaçait le respect qui entourait les poëtes. Après avoir été longtemps chef parmi les chefs, et l’égal des druides, le barde devint plus tard un mercenaire que l’on faisait venir au milieu du festin pour amuser les convives : le vates avait fait place au comédien. C’est là sans nul

  1. Exemples : bancs, fin, parc, cri, fi ! drud, héros (dru), bren, corruption ; truand, misérable.