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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/59

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Les Icènes qui avaient pris les armes furent domptés, et les Romains fondèrent une colonie à Camalodunum. Ceci fait, ils attaquèrent les Silures, nation indomptable que gouvernait un prince nommé Caradoc (Caractacus). Caradoc se trouva, tout brave qu’il était, le moins fort. Il résolut d’attendre les Romains, non pas dans la plaine, mais derrière un retranchement formidable qui s’appelle encore aujourd’hui Kaer-Caradoc (citadelle de Caradoc). Sur cette montagne aux retranchements solides Caradoc fut poursuivi, et il se défendit à outrance. Cette fois encore la vieille discipline des légions romaines triompha de l’énergie et de l’héroïsme des Bretons. Caradoc fut vaincu ; sa femme, sa fille, ses frères, tombèrent au pouvoir de l’ennemi. Lui-même, il avait espéré trouver un refuge chez sa belle-mère ; mais cette femme vendit son gendre aux soldats romains. Abandonné et trahi par qui devait le défendre, le malheureux capitaine est traîné à Rome pour orner le triomphe du vainqueur Le peuple entier avait été convié à cette fête, fête imposante en effet. La ville entière est dans la joie ; les prétoriens, sous les armes, sont rangés en bataille dans la plaine qui borde leur camp. Quand tout fut prêt, commença le triomphe ; les clients du chef prisonnier, ses trophées d’armes, son cheval de bataille, puis ses frères, sa femme, sa fille, furent indignement livrés en spectacle à la plèbe romaine ; — spectacle dont Rome pouvait se repaître, car elle n’avait plus longtemps à se réjouir ainsi.

Ce grand triomphe remplissait la ville entière ; Caractacus parut le dernier de tous, comme le plus irrécusable témoignage de la victoire. Il marchait le front calme, la tête haute, le regard assuré. Claude l’attendait, assis sur ce trône déjà menacé par le crime qui devait y placer Néron. Arrivé au pied du trône impérial, écoutez le discours que prononça l’illustre Breton ; Tacite l’a conservé avec soin, et ce discours tient sa place à côté des chefs-d’œuvre de Tacite :

« Si ma modération dans la prospérité eût égalé ma naissance et ma fortune, on me verrait, ici même, l’ami de Rome et non pas son captif. L’empereur n’eût pas dédaigné l’alliance d’un homme qui descend d’une longue suite d’aïeux et qui commande à plusieurs nations. Maintenant le sort m’humilie autant qu’il vous élève. Naguère encore, je ne savais pas le nombre de mes coursiers, de mes soldats, de mes richesses : quoi d’étonnant que j’eusse voulu défendre tous ces biens ? Si votre ambition veut donner des fers à tous, est-ce donc une raison pour que tous les acceptent ? Au reste, une prompte soumission n’eût illustré ni votre victoire, ni moi-même. Tuez-