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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/61

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tous sont passés au fil de l’épée. De cette ruine sanglante, vingt mille Bretons marchent sur Londinium et sur Vérulam. Vainement Cérialis veut leur barrer le chemin, il est écrasé ; les deux villes sont emportées d’assaut ; tous les habitants sont égorgés sur la place. Cette fois, sans l’énergie de Suétonius, les Romains étaient chassés à tout jamais de la Bretagne indignée. Cet habile général, par un effort de valeur incroyable, avait percé, au travers des ennemis, jusqu’à Londinium, dont il voulait faire le centre de ses opérations ; mais, considérant la faiblesse de son armée, il prit le parti de sacrifier une ville pour sauver la province. Avec dix mille hommes, il courut se poster à l’entrée d’une gorge étroite dont les derrières étaient fermés par un bois. Là, il attendit l’ennemi de pied ferme. La bataille fut longue et vaillamment disputée ; mais enfin tous les efforts du courage et du patriotisme breton vinrent se briser contre l’admirable discipline des légions.

Après tant de défaites, la Bretagne refusait encore de se soumettre. Il ne fallut rien moins que le génie d’Agricola, pour établir définitivement la domination romaine dans cette indomptable contrée.

La louange d’Agricola, par le grand historien qui a été son gendre, est restée dans toutes les mémoires ; l’illustre général n’a pas été au-dessous de cette louange. Il avait le courage qui gagne les victoires, il avait la sagesse qui les conserve. Il savait très-bien que la violence peut tout perdre, et même les causes gagnées ; et comme il vit que le peuple breton ne pouvait pas être seulement dompté par les armes, il résolut d’en venir à bout par la bienveillance et par la justice. Aussitôt, grâce à ce sage conquérant, l’administration civile et militaire est ramenée violemment dans les limites de l’autorité et de la justice ; les concussions et les tyrannies des agents du fisc sont punies avec une sévérité inflexible ; bien plus, à l’exemple d’Auguste lui-même, dont le souvenir dominait même les consciences les plus honnêtes, Agricola, et c’est là ce qui souilla sa victoire tout en l’affermissant, n’hésita pas à appeler à son aide les plaisirs et les infâmes voluptés de Rome. Il comprenait, comme un homme qui veut réussir à tout prix, et qui s’inquiète peu que sa victoire ne dure qu’un jour, que le grand moyen de dompter ces peuples austères, c’était de déshonorer leurs mœurs. Aussitôt — voyez la honte ! et comme les peuples vaincus étaient traités même par ceux qui les devaient protéger et défendre ! — le vice romain vient en aide à la victoire ; Rome se met à corrompre les peuples qu’elle ne peut pas dompter ; le luxe et la