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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/66

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Ces gémissements, — et c’est M. Guizot cet homme au ferme coup d’œil, à qui rien n’échappe dans les mystères de l’histoire[1], qui parle ainsi, — ont été considérés comme un monument de la mollesse des Bretons ; on les a taxés de lâcheté pour avoir imploré l’assistance d’Aétius et demandé comme une grâce la protection d’une légion romaine : ce reproche est injuste, il est cruel. Mais, au contraire, ces Bretons dont on a fait des lâches, soldats négligés par les grands capitaines, et moins habitués à se servir des armes romaines que les autres sujets de Rome, ils ont résisté aux Saxons, et cette résistance difficile, elle a laissé son chapitre et sa trace dans l’histoire. À la même époque, des Espagnols, des Italiens, des Gaulois, l’histoire ne parle guère[2]. Mais allez donc arrêter les flots dans leur course ; faites revenir sur leurs pas ces Romains qui ne songent qu’à retourner du côté des fêtes, des grands débats et du soleil ! Si touchante que fût la plainte des Bretons, cette plainte ne fut pas écoutée. Hélas ! il fallut céder à la force ; le Picte et le Scott chassèrent le propriétaire légitime de sa terre et de sa maison ; on vit alors les maîtres de l’île de Bretagne errer çà et là dans les sombres forêts, se cacher dans les cavernes ou dans les marécages de l’Ouest. Ce fut alors qu’un Wortigern[3], élu dans l’assemblée générale du pays, poussé à bout par tant de misères, résolut — triste remède ! — d’appeler à l’aide de l’île écrasée une troupe de guerriers saxons. Nos Bretons insulaires savaient cependant quel était le Saxon ; ils avaient appris à le connaître dans la mêlée ; ils le savaient féroce, indomptable, avide, enfant d’une race nombreuse qui n’attendait plus qu’un signal pour se ruer sur toute proie à sa convenance, — Au premier appel, les Saxons répondirent ; d’abord ils ne demandaient qu’une récompense convenue, et dès la première bataille contre les Pictes, ils gagnèrent vaillamment la récompense promise ; mais de même que le flot appelle le flot, le Saxon appelle le Saxon ; alors vous eussiez vu, de tous les côtés du Nord et sur tous les rivages de l’île, accourir les Saxons plus nombreux que les Pictes, que les Scots, que tous les barbares maîtres de l’île. À ce moment le danger change ; il faut que les Bretons chassent à main armée leurs terribles défenseurs ; la guerre commence de part et d’autre ; acharnée et favorable d’abord aux Saxons. La lutte était sanglante et féroce : des deux parts. Les débris de nos tours ren-

  1. Essai sur l’histoire de Fr. p. 2.
  2. L’illustre écrivain ne s’est pas souvenu de l’Armorique.
  3. Wortigern n’est pas un nom propre, mais le titre d’une dignité ; Mor ou Wor, grand ; ighern, ou tiern, chef, roi.