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XII
À THÉODOSE BURETTE.

amitiés disparues, comme pour témoigner de tant de belles heures évanouies. À cette heure nous voilà donc à peu près seuls, l’un près de l’autre, sans nous perdre de vue un seul jour, vivant toujours de la même vie, lisant toujours les mêmes livres, exempts des mêmes ambitions, contents de peu, contents toujours. Notre bonheur a changé, il est devenu moins fougueux, nos espérances se sont amorties. À force de voir s’éloigner de nous nos vieilles amitiés, notre amitié s’est encore resserrée s’il se pouvait faire, et maintenant nous ne comprenons guère que nous puissions vivre, moi sans toi, toi sans moi.

Cependant de nous deux tu as été le plus sage, car tu as été le plus modeste. Le grand jour t’a fait peur, et tu as accepté pour la règle cette devise du sage : Cache ta vie. Tu as dissimulé avec le plus grand soin ton esprit et ton talent et cette verve ingénieuse dont les plus illustres seraient jaloux. Tu n’as voulu ni du bruit ni de la renommée ; je crois bien même que tu n’aurais pas voulu de la gloire. Et bien plus, je ne serais pas étonné quand tu te serais effacé pour me faire place, afin que la route me fût plus facile. Tu écrivais mieux que moi ; tu m’as laissé écrire. Ton goût était plus sûr, plus exercé, plus net que le mien ; tu m’as laissé juger les autres. Tu t’es fait humble et petit, et tu as caché, même à moi, ces longs travaux historiques qui ont produit de si charmants livres