Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/309

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une coalition[1], un corner, un pool, comme on les appelle en Amérique et en Angleterre, où ces opérations se sont produites fréquemment dans ces dernières années, un schwanze comme on dit en Allemagne, où la chose est connue aussi.

Le corner est constitué par un certain nombre de puissants spéculateurs, qui se lient par un pacte secret et jamais écrit. Ils débutent par acheter tous les stocks disponibles, ce qui commence à faire monter les prix. Ils se gardent bien de cesser absolument de vendre comme les accapareurs d’autrefois, de manière à faire souffrir les consommateurs. Affamer des populations en cachant le blé, arrêter les manufactures en détenant le coton serait trop dangereux. Seulement ils limitent les ventes aux besoins de la consommation journalière et les font à des prix gradués, au fur et à mesure que le cours s’élève sur le marché par les achats qu’ils font de tous les stocks existants. Ces ventes, et c’est là le point essentiel, doivent être faites par les membres du corner, chacun dans les limites et selon les proportions convenues. En même temps, le corner achète à terme, aux liquidations successives, toutes les quantités offertes et l’élévation des cours provoque la multiplication des offres. Il ne craint pas de s’encombrer ; car au moyen des warrants il se procurera de l’argent pour à peu près la valeur de la marchandise (chap. vu, § 4). Les vendeurs à découvert se trouvent la plupart du temps dans l’impossibilité de livrer à cause de l’emmagasinement des existences par le corner et surtout de la multiplicité des ventes de ce genre : ils sont alors obligés de se racheter, de payer de lourdes différences, et c’est le plus net des bénéfices du corner ; ou bien ils se mettent à acheter à la hausse pour se couvrir et ils restent engagés dans cette position aux cours extrêmes, qui provoquent le krach, alors que les promoteurs du corner se sont eux-mêmes déjà dégagés.

Ainsi ont procédé les neuf corners qui ont eu lieu sur les

  1. Cet élément de l’incrimination de l’art. 419 du C. P. est tellement essentiel que, quand les spéculateurs ont formé entre eux une société anonyme, ils sont censés absorbés en une personne unique et il ne peut plus y avoir coalition au sens juridique. (V. Cour de cassation, 26 janvier 1838.)