Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/434

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Le 10 novembre 1847, la maison Rothschild avait soumissionné au gouvernement français un emprunt de 250 millions en 3 p. 100 au taux de 75 fr. 25, payables par versements échelonnés. Le soumissionnaire avait payé les deux premiers termes et escompté une partie des suivants. L’affaire promettait de lui donner 15 millions de bénéfices. La révolution de février ayant fait baisser la rente 3 p. 100 à 50 fr. 75, l’opération sur les versements nouveaux menaçait de se solder par une perte de 25 millions, si, au lieu de garder l’emprunt, il voulait le placer dans le public.

Heureusement pour le soumissionnaire de l’emprunt de novembre 1847, dit M. Courcelle-Seneuil, il trouva dans la personne de M. Goudchaux un ministre accommodant, qui consentit à le relever de ses engagements et à lui faire donner par l’État 13 millions de rentes 5 p. 100 au taux même auquel il avait soumissionné la rente 3 p. 100 en 1847. En admettant que les cours restassent, jusqu’à l’expiration des nouveaux engagements, à 77 fr. 25 taux du 24 juillet, jour où ils furent souscrits, le soumissionnaire, exposé la veille à une perte de 25 millions, avait le lendemain en perspective un bénéfice de 11 millions, outre la chance presque certaine de voir les cours se relever. A cet avantage énorme, il faut ajouter encore que, en raison de la restitution du fonds de garantie de 7 fr. 50 accordée aux souscripteurs et d’une bonification d’intérêt équivalant à 2 fr. 50 environ, le taux vrai de négociation était de 65 fr. 25 seulement. Pour résumer en deux chiffres le dommage éprouvé par le Trésor, l’emprunt de 1847 devait donner lieu seulement à l’inscription au grand livre d’une rente de 9.666.777 francs : l’opération, qui remplaça cet emprunt, donna lieu à la création d’une rente totale de 15.676.413 francs[1].

Est-ce parce que Goudchaux était un coreligionnaire des Rothschild que le Trésor français fut frustré des avantages que la soumission à forfait avait précisément pour but de lui assurer malgré toutes les éventualités, ou bien les Rothschild avaient-ils le moyen de faire crouler la République ?

Les calamités de la guerre de 1870-1871 rejetèrent la France dans une position aussi douloureuse. Thiers a été accusé de

  1. Traité des opérations de Banque (2e édition, Guillaumin, 1852) pp., 108-110 Cf. A. Vuhrer, Histoire de la dette publique, t. II, pp. 251-253.