Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/436

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titres avec bénéfice. De là cet immense agiotage des banquiers européens ; de là l’étranglement d’une partie de la spéculation française par la spéculation étrangère plus favorisée ; de là, l’éviction de notre épargne par les loups-cerviers cosmopolites, devenus les dominateurs du marché[1].

Un vice très grave de notre législation financière rend possible bien des abus de cette sorte sous la forme de frais d’emprunts. Par une anomalie étrange, la comptabilité des emprunts publics est soustraite au contrôle de la Cour des

  1. Amagat, les Emprunts et les impôts de la rançon de 1871 (Plon, 1889), p. 148 et p. 156. Cf. Leroy-Beaulieu, Journal des Débats du 5 août 1872. S’il faut en croire M. John Reeves, the Rothschilds, the financial rulers of nations (Londres, 1887), p. 89, le baron Lionel serait intervenu aux pourparlers pour la paix en 1871 et aurait contribué au règlement de ses conditions, en promettant de maintenir la stabilité des changes internationaux pendant la durée des paiements de l’indemnité de guerre des 5 milliards. Cette promesse fut tenue. L’indemnité fut effectivement payée, jusqu’à concurrence de 4.248.326.374 francs en lettres de change. Pour réaliser cette somme énorme, le gouvernement français a dû, dans l’espace de deux ans et demi, acheter pour 5.862.807.290 francs de lettres de change sur l’Allemagne, l’Angleterre, la Hollande, la Belgique, sauf à convertir ces dernières en change allemand, ce qui explique l’écart des deux chiffres ci-dessus. Ces sommes ont été représentées par 120.000 effets, qui comprenaient depuis des billets de moins de 100 francs jusqu’à des traites de plus de 5 millions de francs, les uns ayant pour cause des exportations de marchandises ou des ventes de titres, les autres, les circulations de maisons de banque avec leurs succursales. Des mesures diverses durent être prises par le Trésor français pour assurer une stabilité relative aux changes pendant une période où des opérations si anormales par leur amplitude venaient changer toutes les conditions du marché. Si l’on prend pour type le change sur Londres, le cours moyen des achats de livres st. fut de 25 fr.4943 :le cours le plus élevé fut de 26 fr.18 3/4 en octobre 1871. La prime de l’or en barres à la Bourse de Paris monta alors à 25 pour 1000 ; mais ces cours élevés ne durèrent que quelques jours. Une des plus ingénieuses combinaisons fut la charge imposée au syndicat de garantie du second emprunt de 3 milliards, de fournir 709 millions de francs de change étranger à des conditions déterminées : « On intéressait par là, dit M. Léon Say, dans son Rapport sur le payement de l’indemnité de guerre au nom de la commission du budget de 1875, les grandes maisons de banque, non seulement à la souscription de l’emprunt, mais encore au maintien, dans des limites raisonnables, du cours du change, puisque c’étaient ces maisons de banque qui courraient, aux lieu et place du Trésor, le risque de la hausse des changes jusqu’à concurrence d’un achat de 700 millions de francs. On peut dire que toutes les grandes maisons de banque de l’Europe ont concouru à cette opération. Le nombre des maisons qui ont signé le traité ou qui ont adhéré était de 55 ; plusieurs d’entre elles représentaient des syndicats de banquiers, ce qui portait le nombre des intéressés à un chiffre bien plus considérable encore… La concentration des efforts de toutes les banques de l’Europe a produit des résultats d’une grandeur inespérée. Toutes les autres affaires ont été suspendues pendant un temps, et les capitaux de toutes les banques privées et de tous leurs clients ont concouru au succès du placement des emprunts français et du passage des capitaux à l’étranger. »