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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/74

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Les entreprises de grands travaux publics, avec leur hiérarchie de sous-contrats, sont le type le plus saillant de ce dégagement de forces économiques latentes.

Les Grecs et les Romains avaient connu la puissance de l’entreprise pour l’exécution des travaux publics et l’approvisionnement des villes. La facilité pour les entrepreneurs d’avoir de la main-d’œuvre à bon marché en achetant des esclaves rendait leur action très efficace et leur industrie très lucrative. L’usage de ce contrat disparut au milieu de l’effondrement du monde ancien et les législations des siècles suivants empêchèrent longtemps sa réapparition.

Les corporations, jalouses de maintenir leur monopole et la délimitation des métiers, qui en était la conséquence, poursuivaient tous les hommes qui auraient frayé des voies nouvelles, ne fût-ce qu’en groupant les travailleurs de divers corps de métier nécessaires pour produire une œuvre industrielle de quelque importance. Des arrêts du Conseil et du Parlement pendant tout le xviiie siècle défendaient encore aux charpentiers et aux maçons d’entreprendre de faire des bâtiments la clef à la main[1] !

Toutefois l’État ne s’astreignait pas à ces entraves, et dès cette époque les travaux exécutés pour son compte étaient l’objet d’adjudications et d’entreprises ; de là la juridiction administrative spéciale à laquelle cette catégorie d’industriels a été depuis lors soumise, peut-être pas pour la plus grande moralité de leurs affaires. Les entreprises par concession ou par adjudication n’en constituent pas moins une forme infiniment supérieure au système des corvées pour l’exécution des travaux publics et à celui des réquisitions pour l’entretien des armées. Ici encore l’intérêt public concorde avec l’essor des intérêts privés[2].

  1. V. Delamarre, Traité de la police (édit. 1738), t. IV, pp. 81-85.
  2. Dans les contrats passés pour la fourniture des armées se révèle souvent cette action supérieure de l’intelligence. Là où l’intendance la plus zélée et la plus honnête n’arrive pas à approvisionner les armées, les soumissionnaires le font avec une régularité et une puissance de moyens étonnants. Un exemple célèbre est celui d’Ouvrard. En 1823, l’armée expéditionnaire d’Espagne était arrêtée sur la Bidassoa, faute d’approvisionnements. L’Intendance se mon-