Page:Jarry - Les Minutes de sable mémorial, 1932.djvu/57

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L’OPIUM

Suçant de mes lèvres brûlantes de fièvre le biberon lourd où dormait l’oubli, au fauteuil béant mes mains de cadavre se crispèrent, et mes yeux agrandis, besicles d’augure, volèrent au ciel blanc où les chevauchantes Walkures tournent dans les spirales sonores des engoulevents.

Et mon corps astral, frappant du talon mon terrestre corps, partit pèlerin, laissant en mes nerfs un frémissement de guitare.

Et j’entrai dans une morgue immense, où les morts dormaient en postures repliées, les bras croisés, le mollet droit au talon gauche, les têtes renversées sur les poitrines. Et des travailleurs — étaient-ce des morts aussi, le sais-je ? — les épongeaient, actifs, admirables. Leurs grosses éponges sont des cervelles où rampent des filets veineux. Et l’eau se fige sur les morts glacés