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LES MINUTES

comme un gras vernis, d’où émergent des cheveux herbus d’étangs ; et l’eau se fige sur les dalles sans fin, et l’eau ruisselle en murs transparents, et leur fait des vitrines. Et quoique figée et glacée toujours, toujours elle court.

Et mon corps astral hâtait après elle ses pieds de silence. Elle courait sans relâche, montant ou descendant, sans souci des lois de la pesanteur que pour s’entasser en masses imposantes. Et je vis un endroit où les unes sur les autres ses vagues montaient et se surplombaient en éperdus escaliers glauques. Et je me hissai aux marches, coudoyant une foule sans nombre, foule d’émeute ou foule joyeuse, sans glisser, combien que la glace pleurât des larmes vertes, par l’escalier si à pic que je l’embrassais comme une échelle. Et au haut s’aplanissait l’eau perpétuellement profonde, où des loutres silencieuses et de muets rats d’eau tordaient les hélices de leur queue. Et je redescendis, ennuyé que la foule m’empêchât de les voir ; je redescendis embrassant les degrés de glace. Un tel froid se vrilla jusqu’à mes os. Que les morts à mes pieds, au bas des marches, me semblèrent tièdes et vivants, malgré leurs cils collés