Page:Jaurès, Guesde - Les deux méthodes, 1900.djvu/17

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la bourgeoisie républicaine, plus intransigeante, possédant sur ses élus une maîtrise plus complète, n’hésita pas à exécuter comme traître M. Émile Ollivier.

N’aurions-nous donc ni l’énergie, ni la conscience des républicains bourgeois de la fin de l’Empire ? Ce n’est d’ailleurs là que la partie incidente de mon rappel au passé. Ce que je voulais mettre en lumière, c’est que le parti républicain sous l’Empire, comme le Parti socialiste aujourd’hui disait : « Il faut faire la République, mais il faut marcher en combattant. »

Cela n’a pas duré longtemps. Un homme est venu, c’était Gambetta, et je me rappelle en 1876, à Belleville, il prononçait les paroles suivantes : « Je ne connais que deux manières d’arriver à mon but, en négociant ou en combattant ; je ne suis pas pour la bataille. »

C’était là l’arrêt de mort du vieux parti républicain ; l’opportunisme était né, et l’opportunisme républicain, c’était la stérilité républicaine, c’était l’avortement républicain, incapable en trente années d’aboutir même aux réformes politiques qui sont un fait accompli par delà nos frontières, aux États-Unis d’Amérique ou dans la République Helvétique ; c’était je le répète, la mort du parti républicain bourgeois ! Eh bien, aujourd’hui, nous nous trouvons, nous, parti de classe, nous, parti socialiste, avec des responsabilités plus grandes, avec des nécessités qui s’imposent plus impérieusement, devant les deux mêmes politiques : les uns préconisant la prise du pouvoir politique en combattant, les autres poursuivant cette prise du pouvoir partiellement, fragmentairement, homme par homme, portefeuille par portefeuille, en négociant.

Nous ne sommes pas pour le négoce : la lutte de classe interdit le commerce de classe ; nous ne voulons pas de ce commerce-là ; et si vous en vouliez, camarades de l’usine, camarades de l’atelier, prolétaires qui avez une mission à remplir, la plus haute mission qui se soit jamais imposée à une classe, le jour où vous accepteriez la méthode nouvelle, ce jour-là non seulement vous auriez fait un marché de dupes mais vous auriez soufflé sur la grande espérance de rénovation qui aujourd’hui met debout le monde du travail…


CLASSE CONTRE CLASSE

Aujourd’hui ce qui fait la force, l’irrésistibilité du mouvement socialiste, c’est la communion de tous les travailleurs organisés poursuivant, à travers les formes gouvernementales les plus divergentes, le même but par le même moyen : l’expropriation économique de la classe capitaliste par son expropriation politique.

Cette unité socialiste, jaillie des mêmes conditions économiques, serait brisée à tout jamais le jour où au lieu de ne compter que sur vous-mêmes, vous subordonneriez votre action à un morceau de la classe ennemie, qui ne saurait se joindre à nous que pour nous arracher à notre véritable et nécessaire champ de bataille.

La Révolution qui vous incombe n’est possible que dans la mesure où vous resterez vous-mêmes, classe contre classe, ne connaissant pas et ne voulant pas connaître les divisions qui peuvent exister dans le monde capitaliste. C’est la concurrence économique qui est la loi de sa production et c’est la concurrence politique ou les divisions politiques qui, soigneusement entretenues, lui permettent de prolonger sa misérable existence.

Si la classe capitaliste ne formait qu’un seul parti politique, elle aurait été définitivement écrasée à la première défaite dans ses conflits avec la classe prolétarienne. Mais on s’est divisé en bourgeoisie monarchiste et en bourgeoisie républicaine, en bourgeoisie cléricale et en bourgeoisie libre penseuse, de façon à ce qu’une fraction vaincue pût toujours être remplacée au pouvoir par une autre fraction de la même classe également ennemie.

C’est le navire à cloisons étanches qui peut faire eau d’un côté et qui n’en continue pas moins à flotter insubmersible. Et ce navire-là, ce sont les galères du prolétariat sur lesquelles c’est vous qui ramez et qui peinez et qui peinerez et qui ramerez toujours, tant que n’aura pas été coulé, sans distinction de pilote, le vaisseau qui porte la classe capitaliste et sa fortune, c’est-à-dire les profits réalisés sur votre misère et sur votre servitude. (Applaudissements et bravos répétés.)