Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/344

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sachant à peine ce que c’est que la France : au bout de quelques semaines, la patrie est en eux. »

En même temps qu’il est une grande école patriotique, le régiment est une grande école démocratique et républicaine. D’abord, les hommes du peuple, ouvriers ou paysans, quand ils sont conservateurs, le sont surtout à raison des influences sociales qui les dominent et les enveloppent : tel gros propriétaire réactionnaire les fait travailler de temps en temps ; sans trop réfléchir, ils votent à sa suite. Au régiment, ce cercle étroit qui les enserrait se brise ; ils sont entrés dans la grande famille française, où il n’y a d’autres maîtres que l’honneur et la loi. Le monde de l’armée, monde ardent et jeune, ignore la puissance sotte des écus ; il est soumis non à la hiérarchie de la fortune, mais à la hiérarchie du mérite : de là, dans l’âme de tous ces hommes, que menaient trop souvent la routine et un hobereau, un ébranlement subit des sentiments et des idées ; la fierté que leur inspire l’égalité de tous les soldats dans le devoir commun leur enseigne la République, qui est l’expression politique de la fierté humaine. De plus, les soldats causent beaucoup entre eux ; et quels sont ceux qui causent le plus, parce qu’ils tiennent le plus à leurs idées ? Ce sont les républicains. Les conservateurs, quand ils sont du peuple, sont conservateurs par inertie, et l’inertie est muette ; les nôtres ont la foi au cœur, et cette foi exubérante et passionnée se répand et se