Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/348

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Quelques esprits inquiets disent parfois : « Nous l’aurons un jour ou l’autre, autant vaudrait tout de suite. » — Mais il serait criminel de devancer les événements. « L’Europe, ajoutent-ils, plie sous les armes, il faut en finir. » — Mais d’abord, quelque lourd que soit le fardeau militaire, l’Europe n’en est pas écrasée. Elle a eu sous sa cuirasse des années de prospérité merveilleuse. Les États modernes, par l’accroissement de la population, par la multiplication des capitaux, par l’intensité du travail, sont des colosses de vigueur. Longtemps encore ils pourront porter, non sans fatigue, mais sans péril, d’énormes budgets de défense nationale. D’ailleurs, est-il certain qu’une guerre nouvelle nous permettrait de désarmer ? Serions-nous sûrs, même victorieux, d’écraser à ce point notre adversaire, que nous n’ayons plus de précautions à prendre ? Donc nous devons nous tenir avec fermeté, avec suite, sans aucune crise de nervosité, à la politique de paix.

Mais nous n’avons pas seulement besoin de la paix ; nous avons besoin, pour reprendre notre travail, d’avoir confiance en la paix. La paix est-elle menacée ? Il semble difficile d’admettre que l’Allemagne veuille de gaieté de cœur se jeter sur nous. On dit, il est vrai, que M. de Bismarck aurait changé de sentiment, qu’effrayé du double péril extérieur et intérieur que la première génération de l’empire va léguer à la seconde,