Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/418

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelqu’un oublie, mais ce n’est pas nous ! Le chancelier de Caprivi, qu’on a beaucoup cité ces jours-ci, et que je veux citer à mon tour, disait, dans cette langue réaliste des hommes d’État allemands, au cours de la discussion sur la loi militaire, et pour établir l’incontestable sincérité de ses sentiments pacifiques : « La nation allemande est rassasiée. » Nous sommes, messieurs, dans la nécessité douloureuse de dire : « La nation française est mutilée. » (Très bien ! Très bien ! — Mouvement.) Nous n’oublions pas la blessure profonde reçue par la patrie, parce qu’elle est en même temps une blessure profonde reçue par le droit universel des peuples. (Applaudissements sur divers bancs.) Mais si nous ne nous reconnaissons pas le droit d’oublier, nous ne nous reconnaissons pas et nous ne reconnaissons à personne le droit de haïr, car notre pays même, si noble et si bon qu’il soit, a eu lui aussi, et c’est notre honneur de pouvoir le dire, il a eu lui aussi dans le passé, et à l’égard même du peuple que vous savez, de longues heures de brutalité et d’arbitraire domination. Et dans les fautes des autres peuples nous reconnaissons trop les fautes du nôtre pour que notre patriotisme même nous permette de nourrir de meurtrières inimitiés. Ni haine, ni renoncement ! Voilà notre devise. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Contre l’atteinte portée au droit nous ne protestons pas seulement comme Français, entendez-le bien,