Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/474

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cisément à propos de la question arménienne, à un étrange renversement des rôles, entre l’Angleterre et la Russie. Jusqu’ici, c’était la Russie — le traité de Berlin en fait assez foi — qui poussait à l’intervention de l’Europe dans les démêlés entre le Sultan et ses sujets ; et c’était l’Angleterre qui essayait de restreindre le plus possible cette intervention de l’Europe, de façon à ménager l’intégrité et l’indépendance de la Turquie : depuis un an, c’est l’Angleterre qui a pris la place de la Russie, et la Russie qui a pris la place de l’Angleterre ; et on entend des hommes d’État, comme le duc d’Argyll, dire explicitement qu’ils préféreraient, pour la Turquie, le protectorat de la Russie elle-même à la prolongation de l’état de choses actuel.

Messieurs, je tiens à le répéter, je ne mets pas en doute la sincérité de ces sentiments. Nous comprenons mal la loi et les effets du grand capitalisme anglais ; il est mêlé à toutes les affaires du monde, et des événements qui, pour nous, trop casaniers, sont lointains, émeuvent en quelque sorte de près la sensibilité anglaise : mais l’insatiable besoin d’expansion capitaliste agit toujours, et la noble émotion humaine, si sincère qu’elle soit, est toujours prête à se convertir en protectorat. Je dis donc qu’au moment où l’Angleterre adoptait une attitude, une tactique aussi neuve, aussi déconcertante, son devoir étroit était de prendre toutes les précautions nécessaires pour que nul ne pût