Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

il a recours à des chansons et à des contes qui contiennent de la joie toute faite, plutôt qu’à des fantaisies personnelles et spontanées de conversation.

En revanche, cette sobriété de l’esprit fait que la moindre plaisanterie l’amuse. On vendange, et il y a dans la vigne beaucoup de vendangeurs et de vendangeuses ; du coteau qui est à l’extrémité opposée de la plaine arrivent dans l’air ensoleillé des sons de cloches. Une paysanne dit, d’un air entendu : « Quelqu’un se pend » ; — c’est le sonneur de cloches qui, en effet, se pend à la corde. C’est là une plaisanterie rebattue, traditionnelle, et pourtant tous y prennent plaisir, la refont pour leur compte, y trouvent de la saveur. Voilà comment les beaux esprits du village ont dans les cercles de paysans des succès si aisés et si énormes. Ces esprits tout neufs, et au fond très sérieux, quand on les met en mouvement, s’amusent de rien.

Le paysan est volontiers sentencieux, surtout en prenant de l’âge. Il s’exprime par proverbes et maximes ; il ne peut pas se créer à lui-même des idées générales, et il les emprunte à la sagesse traditionnelle. « Le pauvre père disait » revient très souvent dans la conversation des paysans. Cette tradition est le seul livre où beaucoup d’entre eux aient lu. Or, elle se compose de formules courtes, de proverbes et de maximes. Nous nous étonnons quelquefois que, vivant en pleine nature, les paysans ne fassent pas sur les phénomènes