Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/112

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nous ne pourrons écarter, refouler de nous la douleur qu’en la communiquant obscurément à d’autres éléments du monde : nous ne pourrons absorber de la joie sans la dérober à l’univers. Étrange et désespérante conséquence, mais rigoureuse, et qui montre bien à quel état serait réduit le monde, s’il n’y avait d’autre infini que l’infini de quantité, pitoyable et ridicule ! Car pourquoi la douleur et la joie seraient-elles dans telle proportion et non point dans telle autre ? et selon quel principe en eût été fixée l’immuable distribution ? Mais puisque le mouvement a échappé à la quantité brute, à plus forte raison aussi la vie intérieure du monde. Elle est infinie par son rapport à l’acte infini qui déploie le monde. Cet acte infini enveloppe l’infinité de la joie ; et voilà pourquoi, pour toutes les forces, pour toutes les âmes, il y a de la joie à l’infini lorsque, par l’action réglée et bonne, elles participent à l’acte infini. Assurément, cette joie infinie de l’acte divin se manifeste et se répand dans la quantité : plus il y a d’esprits qui participent à une vérité, plus est grande la joie de vérité ; mais cette joie n’a pas, dans l’ordre de la quantité, son fondement, sa mesure et sa limite. Aussi des forces et des forces encore, des âmes et des âmes encore, peuvent goûter à la joie divine sans la diminuer, sans se faire tort les unes aux autres. Il leur suffit de s’orienter dans le sens du rayon divin. Et la douleur ne s’oppose pas à la joie comme une quantité brute et impénétrable : elle n’est pas en travers de la joie comme un bloc irréductible. Pourquoi y a-t-il de la douleur ? Parce que le parfait, en raison de sa perfection même et pour la mériter, déploie le monde dans l’effort, dans la contradiction, dans la lutte, c’est-à-dire, en un sens, dans la souffrance. Ainsi, la douleur n’est pas un fait