Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/113

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brut : elle est, en quelque sorte, une suite de la perfection divine. C’est la plénitude infinie de la joie qui va au-devant de la douleur, pour se posséder et se justifier elle-même par un effort éternel qui abolit en Dieu tout ce qui est destin. Ainsi, la joie et la douleur se concilient et se pénètrent au point le plus vivant de Dieu, si l’on peut dire, au point où l’acte infini et achevé se déploie en une puissance d’être infinie aussi, mais toujours inachevée et tourmentée ; au point où l’infinité de la vie se traduit en une infinité d’aspiration et de désir qui enveloppe la possibilité infinie de la souffrance. Sans cette pénétration première et toute divine de la joie et de la douleur, comment comprendre qu’une même parcelle de l’être puisse passer, sans se rompre, de la douleur à la joie, de la joie à la douleur ? Hé quoi ! le cœur de l’homme, tout à l’heure plein de souffrance, est maintenant, par un retournement subit, plein d’une égale joie : les mêmes puissances d’être qui gémissaient en nous tournent soudain au bonheur, et il ne se produit pas dans le cœur une rupture, un déchirement ! Qu’est-ce à dire ? Est-ce qu’il y a eu transmutation de la douleur à la joie ou de la joie à la douleur ? Mais, encore une fois, comment ce qui est joie pourrait-il devenir douleur, et réciproquement ? La vérité est que tout être, par son centre même, est en Dieu, c’est-à-dire au point même où douleur et joie se concilient. Dieu est l’activité infinie, l’harmonie et la joie suprême : il y a dès lors, pour tous les êtres qui se développent en lui, qui touchent à lui, des possibilités infinies de joie, mais aussi Dieu, par cela même qu’il est la vie, fonde la contradiction et la lutte : il y a dès lors, pour tous les êtres qui se débattent dans ces contradictions, une possibilité infinie de souffrance ; et les êtres peuvent passer