Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/115

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progrès n’est pas un déroulement mathématique, parce que le mouvement n’est pas une quantité mathématique. L’œuvre d’une génération n’est pas contenue dans l’œuvre des générations antérieures comme une équation est contenue dans une autre équation. Ainsi, pour tous les vivants, à quelque période de l’univers qu’ils apparaissent, le problème de l’infini se pose tout entier. Il s’agit de savoir si les âmes trouveront leur équilibre non seulement avec l’état actuel de la réalité infinie, mais avec l’infini vivant qui déploie l’univers dans la durée. Ce n’est donc pas seulement un problème d’adaptation mécanique que les âmes et les forces ont à résoudre ; celui-là varie avec l’état du développement universel. C’est un problème d’adaptation intime de l’âme par la pensée, par la douceur, par la vaillance, par le goût de la joie et l’acceptation confiante de la souffrance, avec l’infini divin qui déborde toute durée ; et ce problème-là reste le même pour toutes les âmes et toutes les forces, dans toutes les profondeurs de l’espace et du temps. Toutes les âmes disséminées dans le monde infini et éternel se tiennent par un double lien. D’abord, l’action qu’elles produisent s’inscrit dans la réalité et va modifier au loin les conditions de l’effort et de la lutte pour les autres âmes : il y a ainsi comme un réseau subtil d’actions et de réactions qui s’étend sur le monde et qui relie les âmes et les forces à travers l’espace et la durée. C’est là la solidarité en quelque sorte extérieure de l’univers, celle qu’entretient le mouvement considéré surtout comme quantité permanente. Mais toutes les âmes dispersées, celles qui cherchent aujourd’hui sur notre planète, celles qui ont lutté et rêvé, il y a des milliards de siècles, dans des planètes inconnues qui n’ont pas eu de rayons pour nos yeux ;