Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/135

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fonctions harmoniques qui expriment la vie du monde. C’est donc démembrer l’univers et rompre son unité nécessaire que de concevoir les différents ordres de sensations comme successifs. Non, la lumière n’est pas venue après la chaleur ; le son n’est pas venu après la lumière, parce qu’il n’y a jamais eu en Dieu séparation de l’individuel et de l’universel. Le monde, étant l’expression de Dieu, doit être, en un certain sens, achevé d’emblée et complet. Il ne peut d’ailleurs être éternel qu’à cette condition ; car s’il y a eu un moment de la durée où la lumière a apparu pour la première fois, si une des grandes fonctions de l’univers a été créée dans le temps, pourquoi pas toutes les grandes fonctions antérieures ? Pourquoi, par exemple, si la chaleur a précédé la lumière, la chaleur n’aurait-elle pas eu de commencement, la lumière en ayant un ? Il est impossible d’admettre dans l’unité, dans l’harmonie d’un même univers, des fonctions éternelles et des fonctions qui ont commencé. Et, si toutes les fonctions de l’univers ont un point de départ assignable dans la durée, l’univers, qui n’est, après tout, que l’ensemble de ces fonctions, doit avoir, lui aussi, son point de départ dans la durée. Ou la lumière est éternelle, ou le monde n’est pas éternel. On conçoit qu’il y ait des jours dans la création, et que la lumière soit née tel jour quand le monde lui-même est né aussi tel jour. Mais il est impossible d’admettre des jours, c’est-à-dire des créations partielles de fonctions essentielles de l’être, dans un univers éternel. Qu’on ne nous oppose pas la doctrine de l’évolution, car, bien comprise, elle conclut avec nous. Elle n’a jamais prétendu que les grandes fonctions de l’univers, la chaleur, la lumière, le son, dérivaient, dans le temps, les unes des autres. Elle