Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/134

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matière. Et comme dès qu’il y a matière, organisation, foyers définis de force, le son peut se produire, il se trouve que nous pouvons considérer comme coéternelles toutes les espèces de sensations. Il y a toujours eu dans le monde des rayonnements et des harmonies.

Au reste, si ce que nous appelons l’éther n’avait pas quelque rapport nécessaire à la matière, s’il n’était pas soumis comme elle à certaines conditions d’élasticité, de densité, comment expliquer que la lumière et la chaleur se propagent avec une vitesse déterminée ? Si l’éther n’était en quelque sorte que l’être même, manifestant par la transparence son identité, la lumière serait un phénomène immédiat, omniprésent : elle n’aurait pas besoin d’aller d’un point à un autre, ou, si elle y allait, ce serait, si l’on peut dire, avec une vitesse absolue qui supprimerait toute détermination arbitraire de temps. Au contraire, il faut à la lumière tant de minutes, tant de secondes pour aller du soleil à la terre. Elle traverse donc un milieu qui n’est pas tout entier et essentiellement lumière : elle rencontre certaines résistances ; elle est sous la dépendance de certaines conditions préexistantes ; elle subit les lois d’une nature donnée. L’éther n’est donc pas, si je puis dire, une page blanche : il n’est pas l’être à l’état premier, absolu ; il a une histoire, qui est liée à l’histoire générale du monde. Il est donc puéril de se représenter l’être premier sous la forme d’un éther immense d’où peu à peu la matière serait née, et avec elle des ordres nouveaux de sensations. Si l’éther modifie et explique la matière, il est modifié et, en un sens, expliqué par elle : il n’est pas ce resplendissement primordial, immense et vide, qu’imaginent certaines cosmogonies ; il est pris dans l’organisme universel ; il est une fonction dans l’ensemble des