Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/186

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fond. Les chanteurs sont tentés toujours, remarquez-le, d’exagérer la profondeur de poitrine des notes ; ils donnent du creux plus qu’il ne serait nécessaire pour la pleine émission du son. Je crois que d’instinct, et par une sorte de métaphysique organique, ils comprennent que la valeur des sons graves est dans leur solidité vitale.

Si Orphée n’avait joué sur sa lyre que des morceaux aigus, il aurait laissé indifférents les rochers et les grands arbres : il a dû préluder par des notes graves. Ainsi, il a pris d’emblée la terre aux entrailles, il a ébranlé les roches profondes et fait frissonner les chênes jusqu’à la racine. Et s’il est vrai qu’il ait pu ainsi bâtir des villes, il n’a dû se servir des notes aiguës que pour exciter les pierres légères jusqu’à la pointe des hautes tours.

Il est donc naturel, les notes les plus lentes étant comme engagées dans la pesanteur de l’organisme, les notes plus aiguës, au contraire, étant comme légères et détachées, que, lorsque nous nous représentons dans l’espace l’échelle des sons, nous mettions les unes en bas aux échelons les plus larges, les plus solides et les plus lourds, les autres en haut. Il n’y a pas là, comme le croit M. Bergson, une correspondance tout extérieure et fortuite entre le mécanisme extérieur du son et le son lui-même. Il y a traduction exacte par des rapports de position des rapports de qualité qu’ont entre eux les sons aigus et les sons graves. Ainsi, ce n’est pas seulement la quantité qui est présente dans la sensation. La sensation enveloppe encore ces déterminations spéciales de l’espace que nous appelons des rapports de position.

De tout ce qui précède, il résulte que la quantité n’étant pas pour nous extérieure à la sensation, en res-