Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/20

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y a concordance entre les impressions illusoires de mes sens. Et pourtant je ne confonds pas l’état de sommeil et l’état de veille, le rêve et la réalité. Et si je les distingue, c’est que les visions du rêve ne peuvent se rattacher à l’ensemble de ma vie selon les lois de mon expérience et les règles de ma raison. Au contraire, les visions de la vie réelle forment un système où tout est lié, où tous les faits sont rattachés les uns aux autres par certaines lois, et par la plus vaste de toutes, la loi de causalité, où tout mouvement est précédé d’un autre mouvement, où tout événement est précédé d’un autre événement, où l’absolue continuité du temps et de l’espace, condition et image de la continuité causale, s’impose à toutes nos actions et à toutes nos perceptions. C’est donc l’esprit qui, selon ses formes essentielles, ses principes et ses lois, selon sa vocation naturelle d’ordre et d’unité, décide de la réalité et l’oppose aux fantômes de la nuit. Donc, pour l’homme et pour tout homme, à moins qu’il ne soit assez stupide ou assez fou pour ne pas distinguer la réalité du rêve, le réel c’est ce qui est intelligible. Voyez comme peu à peu le sens du mot réalité s’élève ; et non point en quelques intelligences d’élite, mais en toute intelligence, en toute conscience. C’est une métaphysique sublime qui est le ressort caché des esprits les plus pratiques et des existences les plus vulgaires. Je sais bien que quelques disputeurs sceptiques ou quelques philosophes de profession se sont servis du rêve et de l’apparence de réalité qu’il a pour nous au moment où il se produit pour ébranler notre croyance à la réalité du monde. Ces artifices ont pu embarrasser un instant les esprits simples, mais ils n’ont jamais eu de prise sur eux. Ils s’étonnent, en effet, quand ils y pensent, de l’apparence