Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/21

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de réalité qu’ont les rêves, et comment ce qui n’est point peut prendre ainsi la forme de ce qui est ; mais ils ne concluent pas du tout de la vanité du rêve à la vanité du monde prétendu réel. Gardons-nous de dire qu’ils manquent, en cela, de philosophie : ils ignorent les petites roueries des systèmes, mais c’est parce qu’au fond ils ont un critérium supérieur et vraiment philosophique de la réalité (je veux dire l’enchaînement causal et la liaison intelligible des choses), qu’ils sont fermés à toutes les habiletés sceptiques ; ils sont sauvés d’un peu de philosophie artificielle par beaucoup de philosophie instinctive, et leur pensée est pénétrée, à leur insu, de la plus haute et de la plus religieuse conception ; car si Dieu, au moins sous l’un de ses aspects, peut être défini avec Leibniz, l’ordre et l’harmonie des choses : Deus est ordo et harmonia rerum, c’est Dieu qui est, pour l’homme le plus simple, la mesure et l’essence même de la réalité. Oui ; mais alors que les esprits simples et directs (j’entends par là ceux qui sont tout entiers tournés vers le dehors aussi bien que les esprits incultes) ne s’insurgent point contre eux-mêmes, et qu’ils n’accusent point le philosophe de subtilité vaine quand il essaie de pénétrer les sens multiples du mot réalité, de dégager les conditions, les garanties supérieures de la réalité du monde et de manifester le secret divin que la réalité enveloppe, puisque le philosophe se borne à mettre en lumière les richesses cachées de tous les esprits.

L’ouvrage de M. Lachelier sur le fondement de l’induction a précisément pour objet d’élever le monde au sens le plus haut du mot réalité en identifiant les conditions de l’être avec les conditions de la pensée. Si les phénomènes se succédaient sans aucun lien, sans aucun