Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/226

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cloche de verre où l’on a fait le vide, elle fait tourner de petites palettes de métal comme les ailes d’un moulin. Mais cela n’est pas toute la lumière, ou plutôt cela n’est pas la lumière. Il faut bien, puisqu’elle fait corps avec le soleil, qu’elle accomplisse, elle aussi, sa part de besogne mécanique ; mais ce n’est point là son office. Je ne puis reconnaître la force, c’est-à-dire l’individualité stricte et un peu âpre, dans les larges effusions d’azur qui emplissent l’espace et le cœur de sérénité, et le soleil n’est pas une bête de somme harnachée d’un harnais splendide.

Ce n’est pas que le toucher n’ait, lui aussi, sa poésie. D’abord, l’individualité a quelque chose de profond. Quelle erreur que celle de Socrate demandant une maison de verre ! L’homme a droit à la maison de pierre, à la maison résistante et close, où il enferme le secret de ses affections et de sa vie, et où la mort lui est plus douce, parce qu’elle y est enveloppée d’un recueillement ami. S’enfermer, ce n’est pas se resserrer, car, en se répandant au dehors, on y rencontre parfois tant de froissements et de blessures qu’on traîne, sous le ciel grand ouvert, une âme contractée. Au contraire, dans la paix de la maison, le cœur se rouvre, et, dans l’individualité close, se creusent, à l’insu du monde agité, des abîmes de tendresse et de douceur. Voilà pourquoi je dis que le sens du toucher, par qui l’individualité se précise, a quelque chose de profond.

Et de plus, par une sorte de retour étrange, c’est peut-être lui qui nous arrache le plus à nous-mêmes ; car si après nous avoir concentrés en nous-mêmes, il nous unit à autre chose que nous, ce n’est pas d’une amitié extérieure et vaine, mais bien d’une amitié solide et en quelque sorte totale. Observez qu’il n’y a pas d’ac-