Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/237

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celle-ci à la muqueuse de l’estomac. Ensuite, il n’y a odorat que des choses dont il y a goût. « Ainsi, dit Aristote, les pierres ne sentent pas, et si la mer a une senteur, c’est qu’elle est salée. » De même que c’est le contact même des particules sapides qui affecte le goût, c’est le contact même des particules odorantes qui affecte l’odorat. La sensation ici n’est pas encore tout à fait distincte de la nutrition. Dans la nutrition, l’organisme absorbe les éléments extérieurs tout entiers, matière et forme, et même il en modifie la forme pour en retenir surtout la matière. Dans les sensations pures, au contraire, comme celles de la vue et de l’ouïe, l’être vivant ne prend des choses extérieures que la forme et exclut leur matière. Dans le goût et l’odorat, c’est bien la forme des éléments chimiques, leur espèce qui détermine l’espèce de la sensation, et, par là, ils sont bien des sens. Mais cette forme n’arrive à eux que portée, en quelque façon, par la matière même qu’elle revêt et, par là, ces sens ont rapport à la nutrition. L’odorat s’en éloigne plus que le goût, car il saisit des formes plus dégagées. L’aliment, en effet, est un composé très complexe qui contient, outre la saveur dominante, certaines saveurs secondaires qui s’y mêlent, et, de plus, une masse de matière insipide qui enveloppe les sucs savoureux et alourdit, par sa grossièreté, les sensations sapides. L’odorat, au contraire, recueille certaines essences comme le parfum de la rose, distinctes de toute autre essence, et démêlées, au moins partiellement, de toute grossièreté matérielle. Pureté et subtilité rapprochent les senteurs des sensations plus hautes du son et de la lumière. L’odorat est un sens esthétique, tandis que le goût ne l’est pas ou l’est peu. Il n’y a pas dans l’odorat, comme dans le goût, satisfaction d’un besoin.