Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/236

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est de vivre, de sentir, d’agir. Aussi, y a-t-il une sorte de sensation fondamentale, la satisfaction de la faim, qui se mêle à toutes les saveurs particulières. L’homme qui a une soif ardente recevra de deux liquides très différents à peu près la même sensation dominante. Il est donc impossible de donner un sens à toutes les variétés de saveur. On ne peut guère douter cependant qu’il y ait un rapport intime entre la saveur d’un aliment et le rôle spécial qu’il jouera dans l’économie. Mais il faudrait, pour que les saveurs eussent un sens précis, que la sensation suivît, en quelque sorte, l’aliment dans ses transformations intérieures. Or, elle s’arrête au palais ; l’estomac n’a guère que la sensation de la faim, excitée ou apaisée, et des sensations de température. Il ramène vite tous les aliments à leur destination banale, qui est d’être des matériaux de la vie. Il y a toutefois, pour la conscience, une certaine conformité de la saveur et de la fonction ; la bonne et franche saveur du pain, par exemple, qui n’est ni stimulante ni fade, semble bien exprimer les qualités nutritives essentielles du pain lui-même ; ni il ne crée un appétit factice, ni il ne trompe un appétit vrai. Pourquoi ce sentiment immédiat de bien-être et comme de gaieté que met dans l’organisme, après le repas, une tasse de café ? Est-ce que nous sentons, d’un côté, la saveur du café, de l’autre, le bien-être qui en résulte ? Il me semble que nous sentons l’un avec l’autre, je dirai presque l’un dans l’autre, et qu’il y a, en tout cas, conformité pour notre conscience entre la saveur particulière du café et l’excitation particulière qu’il donne à la vie.

Avec l’odorat commencent presque les perceptions à distance. L’odorat est très voisin du goût ; d’abord, la muqueuse du nez fait suite à celle de la bouche comme