Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/259

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subjective. Sans doute, entre un mouvement comme mouvement et un son comme son, il n’y a aucun rapport. Mais pour opposer ainsi le mouvement auquel correspond le son et la sensation de son, il faut avoir réduit au préalable le mouvement à un fait brut et inintelligible ; il faut avoir chassé toute idée de l’un et de l’autre. Mais le mouvement auquel correspond le son n’est pas un mouvement indéterminé ; il n’est pas une quantité abstraite de mouvement : il est un mouvement de vibration dans un milieu matériel et élastique, c’est-à-dire qu’il implique l’individualité, l’expansion, la matière elle-même, et la matière, comme telle, ne nous est pas donnée par tel ou tel sens particulier ; elle est une forme définie de l’être que la raison seule conçoit ; elle n’est vue que par les yeux de l’esprit. Le mouvement auquel correspond le son ne se réduit donc pas à une sorte de graphique saisissable par les yeux et qui pourrait être recueilli sur une feuille de papier blanc. Ce graphique, ce tracé n’est que la figure du mouvement : il en est l’abstraction ; la réalité essentielle, à la fois physique et métaphysique du son, est ailleurs : elle est dans la double puissance d’individualité et d’expansion qui semble tenir à cet état particulier de l’être que, dans les sphères de la pesanteur, nous appelons la matière. Dire que le son n’est qu’un mouvement, c’est même, au point de vue physique, dire une chose incomplète ; car d’abord il n’est pas un mouvement, il est certain mouvement. Et puis, il n’est pas un mouvement tout court ; il est un mouvement de la matière. Or, la matière, ce n’est pas l’éther, ou, tout au moins, ce n’est pas l’être un et immatériel que nous avons reconnu au fond de tout : c’est une forme définie et particulière de l’être. Et pourquoi l’être a-t-il pris cette forme ? De quel