Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/261

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de telle forme de l’être, car nous n’aurions pas une pleine et vivante connaissance de cette forme de l’être sans la sensation ; nous ne saurions point, par exemple, efficacement ce qu’est l’amitié universelle de l’être pour l’être en dehors de toute forme particulière, sans la transparence, et nous ne saurions pas ce qu’est le besoin de sympathie qui travaille tous les êtres et l’aptitude des forces distinctes à se pénétrer par leur intérieur, si nous n’avions senti, dans le son, vibrer, d’autres forces et d’autres âmes à la fois extérieures et intérieures à notre âme. Il faut se tenir au point de vue où l’être, la sensation, la vie, la conscience ne font qu’un. Direz-vous qu’il y faut une certaine complaisance ? Je l’avoue ; mais cette complaisance s’appelle religion, car elle nous met en harmonie continue avec le principe suprême des choses. Il y a, au début de tout, une complaisance secrète de l’être pour l’être. Si l’infini s’était chicané lui-même, s’il s’était divisé contre lui-même, il se fût stérilisé. Il y a dans nos recherches un point où tout se soutient et se complète, où nos idées et nos sensations se rejoignent et s’accordent. C’est là, si je puis dire, le point religieux de la connaissance et de la vie ; c’est à nous de le reconnaître et de nous y fixer.

Au demeurant, même pour la conscience superficielle, le son contient évidemment quelque chose des existences qu’il traduit. Le son pesant et large de la cloche met en nous un moment l’âme lente et lourde du métal ébranlé. Et, au contraire, j’imagine qu’à entendre, sans en avoir jamais vu, un verre de cristal, nous nous figurerions je ne sais quoi de délicat et de pur. Le bruit mélancolique, monotone et puissant d’une chute d’eau traduit bien à l’oreille cette sorte d’existence confuse du fleuve où aucune goutte ne peut vivre d’une vie par-