Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/262

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ticulière distincte, où tout est entraîné dans le même mouvement et dans la même plainte.

La conscience a démêlé, bien avant que la science même en ait cherché les raisons, la différence du son et du bruit. Le bruit, celui que nous faisons, par exemple, en marchant sur un plancher ou sur la pierre, a quelque chose de court, de sec, d’insignifiant. Il est plus ou moins sourd ou aigu, mais il est impossible d’en évaluer rigoureusement la hauteur. On ne peut pas le noter ; on dirait qu’il y a bien eu choc d’une force quelconque, d’une substance quelconque par une autre force, mais que ce choc n’a pas éveillé, si l’on peut dire, de suffisantes ondulations. Pour qu’il y ait son, pour que l’âme même de la force qui vibre entre en jeu, il faut qu’il y ait des vibrations assez fortes pour intéresser la chose vibrante jusque dans sa structure intime, et assez prolongées, pour qu’elle puisse, secouant sa torpeur et s’échappant à elle-même, livrer son secret dans un rythme défini. Le bruit, c’est l’oiseau débile qui se traîne à terre ; le son, c’est l’oiseau qui s’envole de la branche pliante, au moment même où il s’envole ; c’est l’âme des choses qui prend une aile ou, plutôt, qui voudrait prendre une aile et qui ne connaît du libre essor de l’oiseau que le frémissement intérieur qui précède immédiatement le vol.

Chaque substance vibrante a son timbre spécial qui est la marque de son individualité. Helmholz a démontré que le timbre résultait d’une note harmonique superposée à la note fondamentale. Il est même arrivé à obtenir artificiellement différents timbres en superposant des harmoniques différentes à une même note fondamentale. Pendant un certain temps, les deux notes, la fondamentale et l’harmonique, restent distinctes pour