Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/306

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chette d’écolier, par la demi-fenêtre qui donnait sur le ciel, je vis dans les profondeurs une petite étoile d’une douceur inexprimable ; je ne voyais qu’elle et il me sembla que toute la tendresse que pouvaient contenir les sphères lointaines, que toute la pitié inconnue, qui répondait peut-être dans l’infini à nos inquiétudes et à nos souffrances, que tous les rêves ingénus et purs qui avaient rayonné des âmes humaines depuis l’origine des temps dans le mystère de la nuit, résumaient leur douceur dans la douceur de l’étoile, et un moment je goûtai jusqu’aux larmes cette amitié fraternelle et mystérieuse de l’âme et de l’espace infini. Puis, peu à peu, et sans qu’aucune pensée précise expliquât ce changement, je sentis comme une rupture étrange. Les profondeurs amies se creusèrent en un abîme d’indifférence et de silence. Je me dis que le foyer de pensée et de poésie juvéniles qui brûlait en moi s’éteindrait sans avoir pu réchauffer ces espaces glacés. Bossuet avait dit : « Allons méditer le silence sacré de la nuit. » Pascal avait dit : « Le silence éternel de ces espaces infinies m’effraie. » Tous les deux avaient l’âme chrétienne et je venais de passer en quelques instants de l’expansion de l’un au resserrement de l’autre. Mais qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, l’idée d’espace prend toujours, par ses nouveaux rapports avec l’âme humaine, une valeur de premier ordre. Descartes ne fait que donner la formule de cet état nouveau des esprits lorsqu’il oppose la pensée à l’étendue. Avec lui et par lui la question de l’espace entre vraiment dans la philosophie. Ce n’est pas à dire, comme je l’ai déjà indiqué plus haut, qu’elle ne fût à l’état de préparation dans la philosophie antique. Celle-ci y avait louché par trois côtés, par l’idée d’être, par l’idée de matière et par l’idée de quantité. Pour nous qui cher-