Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/307

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chons justement quelles sont les idées qu’enveloppe le monde sensible, qui en font la vérité et partant la réalité, il n’est pas indifférent de rechercher comment l’analyse de certaines idées acheminait la philosophie antique à l’étude de l’espace, forme universelle du monde sensible. Cela importe d’autant plus que le suprême effort et, si j’en crois beaucoup de penseurs, la suprême victoire de l’idéalisme subjectif a été précisément de réduire l’espace à n’être que la forme de la sensibilité humaine. Avant de demander directement ses titres à cette doctrine, nous avons bien le droit d’aller chercher, dans les conceptions vigoureuses de la métaphysique antique, une sorte de cordial.

Il serait puéril de dire que les Éléates ont ramené l’idée d’être à l’idée d’espace. Comme nous l’avons déjà dit, la question ne se posait pas en ces termes pour les anciens, et puis l’idée d’être avait pour Parménide une sorte de plénitude qui ne saurait convenir exactement à l’idée d’espace. Il est impossible cependant de ne pas voir chez les Éléates l’espèce de symbolisme par lequel l’espace traduit l’être ; quand ils disent que l’être est un, homogène, continu, immuable, parlent-ils de l’être ou de l’espace ? Il n’est pas jusqu’à la forme sphérique qu’ils donnent au monde qui n’atteste la parenté des deux idées. La sphère, c’est l’homogénéité absolue de la forme, c’est la forme qui altère le moins l’homogénéité, l’unité, la continuité essentielles de l’être, ou plutôt elle ne les altère pas du tout, elle les exprime. Ainsi, pour compléter l’affinité intime de l’espace et de l’être, c’est une détermination d’espace qui détermine l’être, c’est une forme d’espace qui assure et qui manifeste l’immuable plénitude et la divine unité de l’être. Point de saillie bizarre par où l’être entrerait dans la multi-