Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/309

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dans l’immobilité de l’être, et ce n’est pas à vous à lui faire la loi puisqu’il s’impose à vous. Vous avez accepté une première violation de l’être par le multiple, c’est vous qui tombez en contradiction lorsque vous prétendez réparer et réveiller l’idée de l’être pour rendre impossible le mouvement. Au fond c’est bien une conclusion touchant le multiple et l’être, que les Éléates cherchaient dans leurs discussions touchant le mouvement et l’espace, et j’ai bien le droit de dire que, pour conclure ainsi de l’ordre de l’espace à l’idée de l’être, l’éléatisme devait bien sentir la coïncidence sinon l’identité des deux notions. Tant qu’ils se bornaient à nier qu’Achille pût atteindre la tortue sans nier et la possibilité d’Achille et la possibilité de la tortue, les Éléates ne se bornaient pas à mettre l’expérience sensible en contradiction avec une idée ; ils mettaient une partie de notre expérience sensible en contradiction avec une autre partie de cette même expérience, ou plutôt, en ayant l’air d’accepter l’existence d’Achille et de la tortue ils acceptaient l’expérience sensible elle-même comme le champ de course où l’expérience sensible devait trébucher. Par là leurs discussions prenaient un faux air de paradoxe subtil et de jeu d’esprit. Au contraire, dégagez la conclusion secrète qui est dans ces discussions, frappez de contradiction, par une sorte de choc en retour et en vertu de la liaison cachée de l’espace et de l’être, non seulement le mouvement mais le multiple, la figure, la grandeur, la relation, tout le sensible en un mot ; ce qui se mêlait de fausses puérilités aux discussions éléatiques disparaît avec le sensible lui-même dans les profondeurs immobiles de l’être éternel. Et en même temps le problème rapetissé tout à l’heure à une sorte de sophistique mathématique retrouve