Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/310

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toute sa grandeur et toute sa sincérité métaphysique. C’est le problème de l’être, de l’un, de l’immuable, à concilier avec le sensible, le multiple et le changeant. Les Éléates, à vrai dire, n’ont pas tenté cette conciliation, ils ont abîmé leur pensée dans la sérénité de l’unité éternelle et ils n’ont résolu le problème du multiple que par le dédain. Mais c’est justement dans les profondeurs mêmes de l’être que nous trouverons la solution du problème, c’est précisément de l’unité éternelle et pour attester cette unité que germe la multiplicité infinie. J’ai eu l’occasion de le dire plus haut : la confusion la plus dangereuse, je dirai presque la confusion mortelle, celle qui nous empêche de comprendre le monde et la vie, c’est celle qui assimile idée et abstraction. Réduire à l’état d’inertie ce qui est idéal, parce que cela est idéal, est un contre-sens monstrueux contre lequel réclame non seulement l’instinct métaphysique, mais encore une expérience un peu interne et profonde de la vie. L’être assurément n’est ni visible ni palpable, mais il est, cependant, et tout est par lui. Il n’est point nécessaire pour le sentir d’être un méditatif comme Malebranche et de faire le demi-jour dans son âme. Il n’est point nécessaire de passer par toutes les observations et déductions qui ont amené Leibniz à sa riche formule : « Il y a de l’être en chacune de nos pensées. » Il suffit d’avoir connu quelques-unes de ces émotions pleines et harmoniques où toutes les puissances de l’âme vibrent à la fois.

La pensée, d’un mouvement naturel et en dehors même de toute règle et de toute méthode, s’élève, par degrés, des objets les plus particuliers aux conceptions les plus générales. Il y a d’un degré à l’autre une certaine continuité logique, parce que les idées super-