Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/31

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nier, et pour savoir en quel sens et dans quelle mesure le monde est réel, il faut savoir ce qu’est l’être, et comment le monde participe soit à l’être en acte, soit à l’être en puissance ; car nous n’abordons pas le problème de l’être sans un commencement de solution, et nous savons déjà, par l’analyse même de la réalité et de ses conditions, que l’être doit être considéré et en acte et en puissance. Il n’y a réalité que là où il y a détermination, unité et effort vers l’unité ; c’est l’être en acte. Mais aussi cette détermination n’est possible qu’avec un fond d’être indéterminé : c’est l’être en puissance. Si l’on veut bien y prendre garde, notre conception ou notre sentiment de la réalité n’est pas le même selon que nous constatons surtout dans le monde l’être en acte ou l’être en puissance. Pour qu’un fait soit réel à nos yeux, d’une réalité pleine, il faut que ce fait ait, pour nous, sa place déterminée et intelligible dans un ensemble solidaire de faits ; il faut qu’il concoure, avec tous les autres faits de l’univers, à une fin idéale, et qu’il ait ainsi son rôle dans l’immense harmonie du tout. Cela donc seul est réel en ce sens qui est à la fois logique et agissant ; et ici, la réalité n’est que la raison agissante, c’est-à-dire l’absolu vivant, c’est-à-dire l’être en acte. Mais il y a un sens plus vague, plus diffus du mot réalité. Les visions incohérentes du rêve ne sont point réelles au sens le plus strict du mot, mais elles ne sont point non plus le néant ; elles attestent, en dehors de toute liaison intelligible et de toute cohésion rationnelle avec l’ensemble des faits, la prodigieuse puissance d’invention qui sommeille au fond de l’être, cette vague aptitude à toutes les formes que possède l’infini et qui, déterminée selon la raison, devient la réalité sublime de l’univers, infiniment variée et