Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/32

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infiniment harmonieuse. Bien souvent, dans la contemplation et la rêverie, nous jouissons de l’univers sans lui demander ses comptes ; nous aspirons la vie enivrante de la terre avec une irréflexion absolue, et la nuit étoilée et grandiose n’est plus bientôt, pour notre âme qui s’élève, une nuit dans la chaîne des nuits. Elle ne porte aucune date ; elle n’éveille aucun souvenir ; elle ne se rattache à aucune pensée ; on dirait qu’elle est, au-dessus même de la raison, la manifestation de l’éternel. Nous ne nous demandons plus si elle est une réalité ou un rêve, car c’est une réalité si étrangère à notre action individuelle et à notre existence mesquine, qu’elle est, pour nous, comme un rêve, et c’est un songe si plein d’émotion délicieuse, qu’il est l’équivalent de la réalité. M. Lachelier, en réduisant toute la réalité à la détermination stricte, exclut de la conscience humaine cette sorte de panthéisme flottant pour qui les choses sont parce qu’elles sont et sans produire leurs titres. Il serait funeste de s’y abandonner ; il serait fâcheux de ne le point connaître, car, s’il est bon, s’il est nécessaire de ramener sans cesse le monde à la raison et de vivre dans l’univers comme dans un vivant système où chacun a sa fonction, il est bon aussi de se retremper parfois aux puissances vagues et illimitées de l’être et de descendre dans le chaos fécond des cosmogonies antiques. Donc, pour épuiser toute la notion pratique ou poétique qu’ont les hommes de la réalité et pour que notre idée de l’être ait toute l’étendue de la réalité, il faut reconnaître dans l’être l’acte et la puissance ; et pour que le monde soit réel, pour qu’il soit, il faut qu’il participe à la fois de l’activité infinie et de la puissance infinie de l’être. Et, par suite, nous ne pourrons expliquer les diverses mani-