Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/318

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à soi se marque et se sauve par la quantité toujours égale d’espace occupée par les éléments du corps, et vous verrez en même temps que, même avec des déterminations précises, la matière, par sa participation à l’espace, reste en communication avec l’infini de l’être et de l’aspiration. Qu’est-ce à dire, sinon que la matière est rendue visible jusqu’en son fond par l’espace ? Il manifeste la puissance toujours égale qui subsiste sous toutes les transformations ; il atteste et il explique l’aspiration infinie qui subsiste sous toutes les déterminations. Puissance et aspiration, voilà le fond immatériel de ce qu’on appelle la matière, et cette immatérialité de la matière transparaît dans l’immatérialité de l’espace. Dans ces profondeurs transparentes de l’espace, qui se prêtent à toutes les formes changeantes de nos rêves, et qui sollicitent toutes les aspirations de notre âme, reluit et frissonne le secret même de l’univers. L’invisible devient visible dans cette manifestation à la fois idéale et réelle qui est l’espace. Trompés par la brutalité et la grossièreté de certains contacts matériels, nous pourrions croire à la brutalité et à la grossièreté de la matière elle-même. L’espace est un rappel immense et permanent à l’idéalité de la matière. Ceux qui contemplent, aiment et comprennent l’espace profond savent, sans s’en douter, ce qu’est la matière. C’est en ce sens nouveau qu’on peut dire : « Les Cieux racontent la gloire de Dieu, » et les simples, les humbles, quand ils répandent dans la sérénité du soir une âme vivante et bonne, quand ils mêlent doucement leur pensée à l’espace recueilli, lisent sans le savoir, dans l’infini qui est sur leur tête, le secret de la poussière qu’ils foulent aux pieds.

Donc l’espace a un sens, et par là même une réa-