Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvement, les âmes peuvent se déterminer et fonctionner dans un organisme sans y être closes. L’étendue et le mouvement font rentrer l’organisme et avec lui l’intimité même de la vie de l’âme dans l’ampleur de l’universel. Or, comme le besoin d’expansion vers l’universel est le ressort dernier de toute activité consciente ou obscure, on peut dire que l’étendue et le mouvement rendent possible la vie intérieure des âmes. Donc, l’espace n’est plus une forme subjective de la sensibilité humaine ; il se développe du fond même de toute force, de toute vie, de toute âme.

Comme l’espace est lié pour nous à des sensations visuelles et musculaires, il nous est impossible de savoir sous quelle forme sensible il apparaît aux êtres, s’il en est, qui n’ont pas les mêmes sensations ou le même degré de conscience et d’aperception. Mais ce que nous savons, c’est que, s’ils sont des centres de force unis à d’autres centres par des relations quelconques, et travaillés d’une sourde aspiration vers l’infini, ces relations et l’infini lui-même doivent se traduire pour eux sous une forme qui est l’équivalent de ce que nous nommons l’espace, si bien que toutes les consciences humbles ou hautes de l’univers pourraient échanger leur forme d’espace, leur symbole de l’être universel. L’univers leur apparaîtrait le même en son fond ; elles le reconnaîtraient et se reconnaîtraient elles-mêmes sous le symbole nouveau, harmonique au précédent. Cette conception nous préserve, aussi bien que celle de Kant, des surprises et des crédulités de l’imagination ; elle respecte le mystère qui est dans les choses, mais elle permet en même temps à la pensée pure d’y pénétrer.

Notre dissentiment avec Kant tient à deux causes